Télé et histoire

 

La télévision fait l’histoire




Il y a 40 ans déjà…


En 1965, l’ORTF posait les bases d’une télévision régionale en Bourgogne Franche-Comté. Les premiers temps, cette nouvelle antenne proposait un journal télévisé, diffusé sur l’unique chaîne française, puis sur toutes les chaînes à la même heure, avant de trouver sa place définitive sur France 3.


Au fil des ans, le journal télévisé régional est devenu un miroir, parfois fidèle, parfois déformant, de l’actualité de la région. Ce nouveau média a agi comme témoin mais aussi comme acteur, participant à la vie culturelle de la Bourgogne et de la Franche-Comté.


Cette implantation a-t-elle changé le regard des habitants sur leur région ? Quel a été (et quel est aujourd’hui) le rôle social de cette télévision de proximité ? Est-elle devenue un des acteurs majeurs de la région, tant du point de vue culturel, que de celui de l’information sociale et politique ?


Ce film documentaire de 52 minutes reviendra sur l’histoire du journal télévisé régional, à travers l’exemple de l’antenne de Bourgogne-Franche-Comté. Ce sera pour nous l’occasion d’une réflexion sur l’impact de la télévision de proximité, sur la place qu’elle occupe dans ces deux régions et au delà dans le paysage audiovisuel français.


Les Bourguignons et les Francs-comtois se retrouvent-ils dans leur télévision régionale ? Lui font-ils confiance en la percevant comme un instrument de démocratie directe, ou soupçonnent-ils une « censure invisible », un « discours » qui serait le vecteur d’une volonté de formatage des esprits ?




Le journal régional


Le 29 octobre 1965, Le ministre de l’information Alain Peyrefitte annonçait une « véritable révolution dans le monde de la télévision !». Il s’agissait de la création du journal d’actualité régionale en Bourgogne et en Franche-Comté, qui devait selon ses propres termes : « rapprocher les gens de leur télévision, (…) et les aider à mieux comprendre leur région ».




Cette émission d’information trouva très vite son public qui prit l’habitude de ce rendez-vous quotidien. Les premiers temps, les gens se réunissaient dans des bistrots ou dans des restaurants pour regarder leurs émissions favorites sur le petit écran. D’autres fois, ils se retrouvaient chez un voisin qui avait acheté son poste avant tout le monde. Souvent la soirée se prolongeait autour d’un verre, et l’on débattait des programmes que l’on venait de regarder…


À cette époque, l’état gardait le contrôle de l’information télévisée, par l’intermédiaire de son Ministre de l’information. Avec l’arrivée des journaux télévisés de proximité, le contrôle de cette nouvelle télévision a-t-il échappé au pouvoir central ? Malheureusement non. Même s’il a bénéficié très tôt d’une certaine liberté, ce journal régional est longtemps resté sous l’influence des hommes politiques locaux et sous le contrôle des préfets qui rendaient des comptes au ministère de l’information. Jusqu’au début des années 70, le préfet recevait même sur son bureau le conducteur du journal télévisé et ne se gênait pas d’intervenir pour supprimer tel ou tel sujet avant la diffusion.



« Ces journaux télévisés régionaux n’ont pas été créés pour offrir plus de démocratie directe. Derrière cette implantation, il y a l’idée d’un maillage du territoire en terme d’information… Il ne faut pas oublier que dans les années 60, la presse régionale est très puissante et souvent critique à l’égard du pouvoir Gaulliste. A l’origine de la création de la télévision régionale, il y a eu un volonté de créer un contre pouvoir médiatique régionale, et de s’assurer la main mise d’une l’information locale… »


Jerôme Bourdon, historien de la télévision.



Peu à peu, cette influence du politique s’est diluée, surtout à partir de 1974 avec la fin du contrôle des journaux télévisés par le ministère de l’information et l’éclatement de l’ORTF. Mais ce n’est qu’en 1982, avec la création de Haute autorité et la loi décentralisation, qu’on peut considérer que la télévision régionale a pu jouir d’une indépendance réelle. Pourtant, malgré cette « nouvelle autorité » (présidée alors par Michèle Cotta et installée solennellement le 31 août 1982 en présence de François Mitterrand) qui voulait garantir la liberté de la communication audiovisuelle, les journalistes et les réalisateurs n’ont pas abandonné facilement les vieux réflexes de la « télé-préfecture »… Et ont eu tendance à pratiquer l’autocensure.


En fait, rares furent ceux qui égratignèrent sciemment les personnalités politiques en place ou les industriels et autres notables qui « comptaient » dans la région.

Bien au contraire, la recherche de proximité à tout prix (et le véritable « culte du local » qui en résulte) a parfois entretenu une certaine forme d’esprit de clocher et de féodalité, favorisant le repli et l’enfermement sous couvert d’autonomie face au national (jugé trop parisien) et à l’Europe toujours perçue et présentée, volontairement ou non, comme trop bureaucratique dans les reportages et les débats.

Se mettre « à la portée » du téléspectateur ne signifie pas forcément abandonner la contradiction et entretenir  les idées reçues !


Mais parfois, comme dans l’affaire Lip, Bull ou Alsthom, le journal télévisé régional a été le témoin fidèle d’un malaise, de mouvements sociaux ou de contestations. Par exemple, en mai 1968, ce média a pu montrer que la révolte étudiante avait largement débordé le cadre des universités parisiennes, participant à l’amplification du mouvement en faisant remonter l’information à la capitale. C’est bien là l’une des originalités des journaux télévisés régionaux : nous faire suivre pas à pas l’évolution d’une affaire, d’un conflit, jusqu’à son terme, à la manière d’une chronique télévisée. Alors que l’information nationale passe vite d’un sujet à l’autre, qu’elle pointe le doigt sur tel ou tel événement qui disparaîtra d’un jour à l’autre des feux de l’actualité.


L’arrivée de ce journal télévisé a également bouleversé les habitudes en matière d’information. La presse locale a dû réagir à cette nouvelle concurrence en proposant des rubriques de plus en plus variées et en offrant une presse quotidienne « à la carte », avec des pages spéciales pour chaque commune, devenant à son tour un média de plus grande proximité.




Si la télévision nationale, sous l’impulsion du Général De Gaulle, a longtemps été l’opposé d’un contre-pouvoir, montrant une France débonnaire et heureuse, à l’image des parrainages et autres inaugurations de ministres qui se succédaient à l’heure du « journal parlé », quelle place occupait la télévision régionale au sein des médias ? Avait-elle la liberté de sa jeunesse, ou était-elle sagement à l’image de son aînée ?


D’année en année, ce rendez-vous quotidien a pris une place unique pour nombre de téléspectateurs. Pour autant, est-ce la force de l’habitude qui prédomine, un ronronnement rassurant, ou un vecteur indispensable d’information locale ?